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Bo Bùn chez Cécile, ou la cuisine sensible...

19 Septembre 2019, 17:02pm

Publié par judithgueyfier.over-blog.com

Recette d'un père à sa fille, de Saigon à l'Ardèche...

 

Le Teil, 12 septembre 2019.

 

Cécile habite une jolie maison remplie à ras bord de livres, dans une petite ville à côté de Montélimar. Elle m'accueille et m'emporte dans son histoire familiale, trace en filigrane le portrait de son père, à travers cette recette, ou les émotions montent en même temps que les odeurs des herbes fraîches...

 


 

Le piano, les livres, les images d'Emmanuelle Houdart encadrées, plus loin, la cuisine...

Le piano, les livres, les images d'Emmanuelle Houdart encadrées, plus loin, la cuisine...

Cécile est professeure documentaliste en collège. Elle se bagarre pour ses élèves, souvent issus de milieu défavorisé. Elle a une vie associative incroyable, très axée sur la littérature. Elle propose des lectures en milieu hospitalier, elle organise des ateliers et rencontres toujours dans l’idée de créer de la mixité, elle participe à l’organisation des Cafés Littéraires de Montélimar…

 

Cécile prépare de merveilleuses confitures aux abricots et pêches d’Ardèche, des sirops avec le romarin du jardin et la menthe de la rivière… Elle sait magnifiquement mettre en valeur les produits qu’elle cuisine, faire ressortir leur goût.

 

Aujourd’hui nous nous retrouvons pour préparer un Bo Bun, recette vietnamienne héritée de son père, Binh. Le Bo Bun est le plat préféré de Cécile. Elle prépare ce plat au printemps, puis surtout l’été, pour pouvoir le préparer avec des produits frais de saison. L’hiver, elle privilégie les plats sautés, les soupes… Sa cuisine est largement teintée de son héritage vietnamien.

Je m’installe pour dessiner, noter, les crayons et tubes de peintures côtoyant un gros tas d'herbes fraîches.

 

Le basilic thaï, les oignons et l'ail des Cévennes, où la famille de Cécile a une maison de vacances.

Le basilic thaï, les oignons et l'ail des Cévennes, où la famille de Cécile a une maison de vacances.

Le Bo bun est un plat long à préparer, mais il nous laisse le temps de parler, de dérouler l’histoire familiale, les souvenirs, les émotions...

 

Salomé, la fille de Cécile, participe à la préparation du plat, demande à sa mère comment elle peut l'aider. Salomé tient un carnet de recettes familiales, et garde des souvenirs forts de ses temps de partage avec son grand-père.


 

Mon père nous associait beaucoup à la cuisine, pour faire les petites mains, comme il y a beaucoup de choses à faire.

Gestes que je fais aussi avec mes enfants, faire les petites mains...

 

 

Cécile et Salomé vont préparer ensemble ce Bo Bun que nous dégusterons à 10 sur la terrasse de la maison. Je les observe, les écoute, au milieu des odeurs d’herbes fraîches… Ce dîner va être fabuleux, c’est sûr!

 

 

C’est un plat qui demande une préparation minutieuse des produits, qui seront tous assemblés au dernier moment dans des grands bols pour servir chaque personne.

 

 

C’est une cuisine très fraîche, une cuisine de chaque instant.

Une partie de la collection de bols...

Une partie de la collection de bols...

Cécile parle avec beaucoup d’émotion de son papa, toujours...

 

Mon père arrive à 25 ans en France, il a fuit à cause de la guerre et a quitté le Vietnam dans l’urgence, vers le Cambodge.

Il est arrivé en France avec le projet, déjà, d’épouser ma mère, qu’il ne connaissait pas.

Ils étaient correspondants de langues, au Lycée. Elle était au lycée à Strasbourg, et lui au Lycée Français de Saïgon.

Il avait quelques années de plus qu’elle... Elle avait 15 ans quand ils ont commencé à s’écrire

Ils se sont déclaré leur amour...

La guerre l’a éloigné de son pays, et l’a rapproché de la France.

Quand il a pu quitter le Cambodge, il est venu en France, il a trouvé du travail, et il a épousé ma mère...

 

Mon père voyageait beaucoup, il était ingénieur agronome, spécialiste mondial dans son domaine, qui est le développement du riz, le sorgho, des engrais naturels.

Il parcourait le monde, surtout la partie tropicale du monde, pour partager ses savoirs, former les gens sur place, en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud..

 

Donc il n’était jamais là! Mais quand il était là, et qu’il avait un peu de temps, quelque chose à fêter, une occasion… là il cuisinait… et c’était bien. J’aimais bien ça, moi, ces moments là.

 

Cécile commence la longue et minutieuse préparation du Bo Bun. Avec Salomé, elle effeuille les bouquets d'herbes fraîches, feuille par feuille, pour les plonger dans de grands bols d'eau fraîches, coriandre, menthe, basilic thaï...

Bo Bùn chez Cécile, ou la cuisine sensible...

Inévitablement, les odeurs d’herbes me rappellent mon père

Et maintenant qu’il est mort, c’est encore plus (silence)…

Je garde ce sentiment de fraîcheur des herbes, que j’associe à lui...

 

Le coriandre, il faut le remettre dans l’eau pour qu’il revive un peu.

Bo Bùn chez Cécile, ou la cuisine sensible...

Le Bo Bun c’est un plat hyper important dans la cuisine vietnamienne, du Sud. Mon père est du Sud, d’un village près de Saigon, qui s’appelle Hiep Hoa.

 

Le Bo Bun qu’on fait ici, il ne ressemble pas tant que ça au Bo Bun qu’on mange là bas, car il n’y a pas les mêmes herbes. La moitié du plat, ce sont des herbes.

 

Quand ici on utilise des carottes, là bas on utilise d’autres sortes de légumes dont je ne connais pas les noms...

Tu adaptes avec les produits que tu trouves ici.

Du coup mon père faisait des essais, avec des panais, ou autres, en essayant de se rapprocher du goût du légume qu'il recherchait...

 

Il recherchait le goût dans lequel il est né, moi je n’ai pas ce repère, j’ai connu le Vietnam à 19 ans.

Moi mon goût d’enfance c’est le Bo Bun qu’on fait en France, celui que mon père faisait ici, avec les produits d’ici, j’arrive à retrouver ce goût là...

 

Aujourd’hui Cécile à son tour reconstitue cette cuisine, recherche ces goûts, partagés avec son père, ou découverts lors des voyages familiaux au Vietnam.

 

Pendant les voyages au Vietnam, au village, ne comprenant pas forcément les conversations, j’ai passé beaucoup de temps à observer les femmes cuisiner.



Pour ses deux frères, la cuisine est également importante. Cécile transmet son goût pour la cuisine et l’histoire familiale à sa fille Salomé qui goûte, assiste, prend des notes… Son fils aussi, adore la cuisine.

 

Dans notre famille, on a un rapport un peu consolateur à la nourriture...


 

Bo Bùn chez Cécile, ou la cuisine sensible...

Cécile utilise un beau couteau chinois bien affuté, et des baguettes pour remuer, séparer…

 

Je m’aperçois aussi que j’ai les mains qui ressemblent à celles de mon père. Mon père avait des mains très très fines. Des poignets très fins. Je les reconnais maintenant que ma peau vieillit. Parfois je les regarde et je me dis, c’est plus les mains de mon père que les miennes. Avec la même couleur, et les gestes, la façon qu’il avait d’éplucher les mangues, avec un très grand couteau…


 

Bo Bùn chez Cécile, ou la cuisine sensible...

Cécile mélange et mesure de visu et à l’odeur, je lui demande de mesurer avec une cuillère pour pouvoir noter les quantités.

 

Nous avons dégusté ce plat accompagné de thé au jasmin, et c'était réellement une merveille...!

 

Bo Bùn

 

Pour 4 personnes

 

Un bouquet de coriandre

Un petit bouquet de basilic thaï

Un bouquet de menthe

3 carottes hachées au robot

1 concombre

1 petite laitue

1 paquet de 250g de vermicelle de riz

250g de cacahuètes non salées

500g de boeuf très tendre

1 oignon

1 c. à soupe d’huile de sésame

3 c. à soupe de sauce soja claire

Huile neutre

Poivre

 

Pour la sauce (1 litre)

le jus d’un citron jaune

le jus d’un citron vert

3 c.à soupe de cassonade

3 gousses d’ail écrasées

1 petit verre de Nioc Mam

Eau

 

Pour réhydrater les herbes aromatiques, et leur redonner du croquant, Cécile commence par effeuiller les bouquets d’herbes fraîches. Effeuiller à la main les feuilles de coriandre, les mettre dans un grand bol d’eau fraîche. Faire la même chose avec la menthe, et le basilic thaï, dans des bols séparés.

Préparer la sauce en mélangeant tous les ingrédients dans une grande bouteille en verre, remplir d’eau et placer au frais. On peut la préparer la veille.

Avec un couteau très aiguisé, émincer la viande très finement, et la placer dans un plat creux, avec l’huile de sésame et la sauce soja. Mélanger intimement avec les doigts, puis placer au frais.

Couper le concombre en tout petits bâtonnets, puis laisser reposer dans une petite passoire.

Laver la laitue.

Moudre ou piler les cacahuètes, mais pas en trop petit.

Cuire les vermicelles de riz, puis les rincer longuement à l’eau froide. Egoutter.

Couper la laitue en lanière, essorer les herbes dans l’essoreuse à salade, toujours séparément, les couper grossièrement et les remettre dans les grands bols.

Emincer les oignons

Répartir les nouilles dans des grands bols individuels, puis mettre par dessus, avec les mains, une poignées de carottes, puis une poignée de concombre, de salade, de coriandre, de menthe et une petite poignée de basilic thaï.

Placer les restes de carottes, concombres, laitue, coriandre, basilic et menthe séparément dans des petits bols qu’on mettra au centre de la table, ainsi en mangeant, chacun pourra rajouter ce qu’il veut dans son bol.

Préparer une grande théière de thé au jasmin.

Faire chauffer deux cuillères à soupe d’huile dans une sauteuse, et faire revenir les oignons en les remuant avec des baguettes. Quand ils sont dorés, ajouter les morceaux de viande. Aggloméré dans le plat creux, il faut les séparer avec les baguettes en les versant dans la sauteuse. Les faire revenir quelques minutes. Selon les goûts, on peut rajouter un trait de sauce soja. Poivrer.

Répartir la viande sautée sur les bols, puis ajouter trois cuillères à soupe de cacahuètes, et enfin un grand verre de sauce.

Servir et déguster aussitôt, en mélangeant le contenu de son bol avec les baguettes, chacun peut rajouter de la sauce, des herbes, des légumes selon ses goûts, accompagné de thé.

On peut bien sûr rajouter des nems coupées en morceaux, si on a le temps d’en préparer, ou d’en acheter!

Bo Bùn chez Cécile, ou la cuisine sensible...

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